Inde, la terre-mère


Avec les Nomades du Rajasthan (tiré de Courrier International)

Mana, une femme entre deux âges de la caste Gaduliya Lohar, répare des outils agricoles sur le marché local du district de Thana Ghazi, dans l’état du Rajasthan. Elle vend également, pour moins de 1 roupies pièce, des marteaux, des cuillères, des ciseaux et des pinces en féraille qu’elle fabrique elle-même. Shishanath, charmeur de serpents, s’installe avec un panier plein de reptiles, il gagne sa vie en éxécutant son numéro devant les passants. Nandu passe ses journées à accomplir des tours d’acrobatie devant le public impressioné des rues d’Alwar. Gurjari, une femme banjaraï(gitane), achète au marché de la multani mitti (un mélange cosmétique traditionnel) et du sel, en fait une pâte, la divise en plusieurs lots et les vends contre 1 kilo de céréales aux femmes des agriculteurs des alentours.
Ces quatre personnes appartiennent à des castes différentes, mais elles ont toutes un trait en commun : ce sont des nomades du Rajasthan qui circulent de village en village à travers le pays et gagnent leur vie en travaillant pour les populations sédentaires. Les Gaduliya Lohar, de la caste des forgerons( ce serait les ancêtres des Kalderash) arrivent au début de la saison pour réparer et vendre du matériel agricole. Les Rabari, une caste de bergers, sont autorisés à construire des abris provisoires sur les terres cultivées pour que les déjections de leur bétail servent d’engrais.

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Souhaitant en savoir davantage sur ces peuples et leur mode de vie, j’ai voyagé avec eux et entrepris des recherches. J’ai ainsi découvert, que pour ces communautés, le nomadisme ne se limitait pas au fait d’être en continuel déplacement, mais que la mobilité était une stratégie économique essentielle, qu’elle constituait la base même de leur métier.
Selon les sociologues, l’Asie du Sud est la région qui compte le plus de nomades au monde. En Inde, ils représentent environ 7% de la population. Pourtant, la plupart d’entre eux ne disposent même pas du droit de vote, ce qui explique peut-être le peu de cas qu’en font les autorités. Que recouvre au juste le nomandisme ? Avant le développement des transports et des communications, les nomades étaient des éléments extrèmement utiles pour les populations sédentaires avec qu’ils entretenaient une relation symbiotique. En échange des services fournis, ils étaient autorisés à s’installer sur les terrains communaux et à utiliser des ressources comme l’eau et les pâturages pour leur bétail jusqu’à ce qu’ils reprennent la route.


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La vie nomade a évolué au fil des siècles, la plupart des castes ayant des origines très lointaines. Les Killekyatha, qui exposaient des gravures sur cuir, remontant par exemple à 1520. Les Rabari sont décrits, dans l’ouvrage d’Abul Faizl Ain-e-Akbari, comme des messagers qui étaient payés en grains et monnaie à l’époque des Mongols. Certaines castes paysannes comme les Abhira sont mentionées dans le Mahabharata comme des voleurs et des bandits de grands chemins. De nombreuses castes nomades que j’ai rencotrés possèdent d’ailleursdes mythes et des folklores liés à leurs origines. Les forgerons de la caste Gaduliya Lohar racontent comment la déesse Kalka Devi les a maudits en les obligeants à mener une vie nomade. Ils disent venir de Chittaurgarh, ville du Rajasthan qu’ils ont quitté lorsqu’elle est tombée aux mains des Mongols en 1568.

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La période coloniale s’est traduite par d’importants changements pour les nomades. Les lois ayant été redéfinies par le nouveau régime, de nombreux groupes ont été traités comme des criminels. A partir des années 1860, les nouveaux règlements forestiers ont par ailleurs privé de pâturages de nombreuses castes de bergers, tandis que celles qui produisaient du fourrage perdaient le libre accès aux fôrets. A la fin du 19ème siècle, la construction de canaux, de routes et de voies ferées à également bbouleversé les modes de migartion de nombreux groupes nomades. Ce qui m’a le plus frappé chez ces populations, c’est la grande diversité de leurs moyens d’existence. Chacune d’elles occupait un créneau socio-économique distinct, répondant aux besoins d’un village ou d’une autre communauté sédentaire. Il y avait les fabricants de meules, les bergers, dont les troupeaux fertilisaient les terres des paysans, les chasseurs, qui vendaient du gibier, et les guérisseurs, qui confectionnaient des médicaments à base de plantes.

Des études indiquent que les villages recevaient la visite de trois à vingt castes fournissant chacune des services différents. Aujourd’hui, ces métiers sont menacés par de multiples facteurs, parmi lesquels l’industrialisation, la modernisation des moyens de divertissements et la mise en application de lois plus strictes pour protéger la nature. A l’époque où les routes, les camions et les vastes marchés n’existaient pas, c’étaient les Banjaraï qui assuraient le transport de la viande. Du Rajasthan à l’Uttar Pradesh, ils rassemblaient de grands troupeux et les conduisaient à l’abattoir. A présent, les bêtes sont entassés dans des camions.

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Les conditions de vie des femmes banjaraï se sont elles aussi détériorées. Jadis, elle achetaient des marchandises en gros et les vendaient en faisant du porte-à-porte dans les villages. Aujourd’hui, leur métier s’apparente beaucoup plus à celui d’agent commercial. Santara, qui ne gagnait pas assez pour vivre, s’est fait embaucher comme journalière sur un chantier de construction. La nuit où j’ai logé dans sa hutte, je lui ai demandé si elle ne regrettait pas son ancien métier. Elle m’a répondu que ce qu’il lui manquait, c’était sa liberté, car, maintenant, elle était aux ordres de son employeur. Gopal, lui, appartient à la caste Bhopa. Alors que nous étions assis à l’ombre d’un banian, il m’a montré une toile de 6 mètres de long sur laquelle étéit peint un enchevêtrement de divinités. Les Bhopa gagnent leur existence en racontant les histoires évoquées par ces peintures parfois pendant des nuits entières. Selon Gopal, on note récemment un désintérêt pour ces récits, les gens préférant écouter la radio ou regarder la télévision.
Les Gaduliya Lohar, à qui j’ai ensuite rendu visite, tirent leur nom des gaddi, ces charrettes dont ils se servent pour se déplacer. Aujourd’hui, les gens préférent acheter des outils en acier ou en aluminium en vente dans le circuit commercial plutôt que ceux, plus grossiers, de ces forgerons. Les Gaduliya Lohar sont donc contraints de circuler continuellement dans le pays pour trouver de nouveaux clients. « Une ville ou même un district ne nous assurent pas de moyens d’existence suffisants, nous devons nous déplacer d’un endroit à l’autre. Autrefois, nous avions de bonnes relations avec les villageois, qui nous invitaient chez eux », raconte Gurjari, qui appartient à cette caste.

Entre ces nomades de différentes catégories professionnelles, on peut distinguer deux traits communs, qui sont sans doute liés. Tout d’abord, ces castes ont toutes été touchés par la modernisation et, loin d’être en relation symbiotique avec les populations sédentaires, leurs membres connaissent des conflits de plus en plus importants avec elles. Ensuite, avec le temps, les métiers effectués traditionellement par les nomades ont été dépréciés, ce qui a obligé ces derniers à se tourner vers les chantiers de construction et d’autres marchés pour trouver du travail. Le nomadisme demeure-t-il une nécessité pour ces populations ? Je me suis rendu compte que ce mode de vie se perpétuait pour des raisons complexes. En circulant dans les pays, les nomades peuvent toucher une clientèle plus vaste. Il s’agit donc d’une habile stratégie économique, qui leur permet d’optimiser leurs profits tout en minimisant leurs risques. J’ai constaté pourtant que les autorités indiennes tendaient à considérer ces nomades comme des groupes sous-dévellopés en marge de la société. La plupart des mesures prises pour les intégrer ont échoué. Dans les années 1960, le gouvernement du Rajasthan a tenté de fournir des logements aux Gaduliya Lohar, mais la plupart les abandonnèrent. Faute de leur assurer des moyens d’existence, toutes les initiatives que l’on pourra prendre en faveur des nomades seront voués à l’échec. Le nomadisme étéit une vie faite de déplacements continuels, il paraît tout à fait illogique et vain de proposer des soins de santé, un enseignement et des logements à ces groupes sans chercher à résoudre leurs problèmes de subsistance.

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En terminant mon enquête, je me suis demandé ce qu’il allait advenir des métiers traditionnels : le marché moderne pourrait-il absorbeer ces peuples et leurs talents ? Quels effets aurait la disparition de leurs activités sur le plan culturel ? Shishanath le charmeur de serpents et Nandu l’acrobate allaient-ils finir leur vie sur des chantiers de constructions ou bien dans les champs à travailler la terre ? Les chiffres du chômage en Inde montrent que le marché du travail parvient tout juste à fournir des emplois lucratifs aux peules sédentaires ou même instruits. Aussi serait-il judicieux de préserver les métiers et modes de vie traditionnels, non pas en les idéalisant mais en reconnaissant leur valeur stratégique sur le plan de l’emploi et en leur accordant le respect qu’ils méritent.


Les Roma à Samarcande


Voici la traduction d'un texte écrit par George Borrow vers 1843. A notre connaissance, ce texte important est inédit en français."Peu d'auteurs orientaux ont parlé des Zingarri bien qu'ils aient été connus en Orient durant plusieurs siècles; parmi ce petit nombre, aucun n'en a fait de plus curieuse mention que Arabschah dans un chapitre de sa vie de Timour ou Tamerlan.

Le passage, qui bien qu'il serve à illustrer l'art, sinon la valeur du conquérant de la moitié du monde, offre quelques traits particuliers de la vie des Tsiganes d'Orient à une période reculée et sera considéré comme par sa traduction."Il y avait dans Samarcande de nombreuses familles de Zingarri de toutes sortes: les uns étaient lutteurs, d'autres gladiateurs, d'autres pugilistes. Ces gens étaient sujets aux désaccords ainsi des différends et des bagarres surgissaient-ils continuellement parmi eux.

Chaque bande avait ses chefs et ses officiers subalternes et il advint que Timour et le pouvoir qu'il détenait les remplit d'épouvante car ils savaient qu'il était au courant de leurs crimes et de leur vie turbulente. En ce temps, Timour avait l'habitude lorsqu'il partait en expédition de laisser un vice-roi à Samarcande; mais il n'avait pas plus tôt quitté la ville que ces bandes se mirent en marche, livrèrent bataille au vice-roi, le déposèrent et s'emparèrent du gouvernement, si bien qu'au retour de Timour il trouva l'ordre rompu, la confusion règnant, son trône bouleversé et il eut beaucoup à faire pour restaurer l'état antérieur, punir ou pardonner les coupables; mais il n'était pas plus tôt reparti en campagne et à ses autres affaires qu'ils retombèrent dans les mêmes excès, et ceci se répéta non moins de trois fois, et lui, à la fin conçut un plan pour leur extermination finale, et ce fut le suivant:

Il entreprit l'édification d'un mur et rassembla autour de lui le peuple, petits et grands, et il attribua une place à chacun et une tâche à chaque travailleur, et il rassembla les Zingarri et leurs chefs à part, et à un point donné, il plaça une troupe de soldats à qui il commanda de tuer quiconque il pourrait leur envoyer; ayant fait ainsi, il appela à lui les chefs du peuple, il leur remplit les coupes et les revêtit de splendides tuniques; quand ce fut le tour de Zingarri, il but de même à la santé de l'un d'eux et le revêtit d'une tunique et il l'envoya avec un message aux soldats, qui, dès qu'il fut arrivé, lui arrachèrent sa tunique et le poignardèrent, déversant l'or de son cœur dans les abîmes de la destruction; et de même il continua jusqu'au dernier d'entre eux; et par ce coup, il extermina leur race, et leurs traces, et depuis ce temps, il n'y eut plus de révoltes à Samarcande".

Une théorie savante a eu cours ces dernières années selon laquelle l'invasion de l'Hindoustan par Timor et les cruautés commises par ses hordes sauvages dans cette région du monde auraient été la cause de l'abandon de leur pays natal par un grand nombre d'Hindous, et que les Tsiganes actuels sont les descendants de ces exilés qui se dirigèrent péniblement vers l'ouest. Maintenant, pour peu que nous puissions faire une entière confiance au passage d'Arabschah ci-dessus, l'idée que Timour ait pu être la cause de l'expatriation et de la vie errante de ce peuple qui en aurait résulté, doit être abandonnée comme insoutenable.

A l'époque où l'écrivain arabe établit qu'il a annihilé les hordes Tsiganes de Samarcande, il avait tout juste commencé sa carrière de conquêtes et de dévastations, et n'avait même pas envisagé la conquête de l'Inde ; déjà, à cette époque précoce de leur histoire, nous trouvons des familles Zingarri établies à Samarcande vivant en grande partie de la même manière que d'autres de la même race ensuite dans diverses villes d'Europe ou d'Orient; mais en supposant que l'évènement raconté ici soit une fable, ou au mieux une légende incertaine, il apparâit singulier que s'ils ont laissé leur pays d'origine pour fuir Timour, ils n'aient jamais mentionné dans le monde occidental le nom de ce fléau de la race humaine, ni détaillé l'histoire de leur combat et de leurs souffrances, qui assurément leur aurait attiré la sympathie, les ravages de Timour étant déjà par trop bien connus en Europe. Il est plus facile de prouver qu'ils viennent de l'Inde plutôt qu'ils se soient enfuis devant le féroce Mongol.Timur Lenk prend Samarcande en 1370. Il prend Delhi en 1398. Il y aurait donc une erreur de datation chez George Borrow.

CommentairesL'importance de ce texte tient à la description faite de l'activité des Roma à Samarcande : ils se comportent comme une armée démobilisée et pratiquent tous les petits métiers des armes possibles. Samarcande est la ville de Timur, c'est celle de ses premiers succès et c'est elle qui lui servira de point de départ pour ses conquêtes. Lorsque Timur part en expédition, il n'emmène pas les Roma, ce ne sont donc pas des mercenaires ordinaires ni des vassaux obligés de servir.

Tout se passe comme s'il leur laissait la ville dont ils semblent être la plus importante force politique organisée en dehors du vice-roi. Forment-ils la garnison ? Cela n'est pas dit, mais alors qui assure la garnison ? On est d'autre part impressionné devant les précautions et le stratagème minable de Timur pour en venir à bout : tout montre que ces Roma sont véritablement redoutables. Timur commande la confédération turco-mongole qui au temps de Gengis a atteint l'Adriatique. Ses guerriers sont des experts. Que l'on songe un instant, qu'un siècle plutôt, un seul combattant Mongol ou Ouïgour pouvait à lui seul terroriser un village lorsqu'ils transformèrent l'Iran en désertS'il fallait une confirmation que les Roma soient originaires d'une caste politique et militaire de l'Inde, en voici une ancienne et imprimée en Europe depuis un siècle et demi.